Première
par François Léger
Stéphane (le très attachant Baptiste Lecaplain), comédien un peu largué, débarque au festival d’Avignon pour jouer Ma sœur s’incruste !, pure pièce de boulevard aux ambitions on ne peut plus modestes. Mais il croise par hasard Fanny (Elisa Erka, vraie découverte), une actrice montante dont le charme ne le laisse pas indifférent. Suite à un malentendu, il lui laisse croire qu’il est Rodrigue dans Le Cid de Corneille. Pour tenter de la séduire, il va s'enfoncer dans un bobard intenable, le temps du festival… Croisé dans L’Amour ouf, La Nuit ou 12 ou Adieu les cons, Johann Dionnet passe pour la première fois derrière la caméra avec un objet à la frontière entre comédie romantique et satire douce-amère du monde théâtral, reparti du dernier festival de l’Alpe d’Huez avec le très convoité Grand Prix (et même deux autres statuettes de plus, histoire de bien montrer sa suprématie).
Constamment hilarant, Avignon s’interroge l’air de rien sur la peur d’être jugé et la valeur de l’art (le boulevard vaut-il forcément moins que le théâtre classique ?) mais sans se poser en donneur de leçons, armé d’une tendresse ironique qui offre à cette rom com d’apparence modeste une résonance bien plus large. C’est aussi un vrai film de troupe (les excellents Alison Wheeler, Lyes Salem, Rudy Milstein et Dionnet lui-même) qui transpire le vécu : les tracts à distribuer sous le cagnard, les affiches scotchées au petit matin, les salles à moitié vides, les embrouilles et les baisouilles. Chaque réplique tape juste et sert aussi à révéler un tempérament, une faille, un lien. Il y a là-dedans une humanité débordante et un humour anglo-saxon proche des comédies d’Alain Resnais.
Tout va très vite, impossible de s’ennuyer, le script malin et à l’os refusant les scènes de transition que certains réalisateurs considéreraient comme essentielles. Dionnet parvient par ailleurs à jouer avec le cadre sublime que lui offre la cité des papes pour faire pousser tout un tas d’intuitions de cinéma qui, ajoutées les unes aux autres, finissent par donner au projet une solide envergure visuelle. Dans un monde en bonne santé, un film aussi généreux devrait remplir les salles sans même avoir besoin de tracter.